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Sexologie et transidentités, une histoire oubliée

Yonatan Kren

Partie 1 : L’Eldorado (1919-1933)

Soirée costumée à l’Institut de sexologie de Berlin en 1920. Magnus Hirschfeld, son créateur, est l’homme portant des lunettes à droite, avec son compagnon de l’époque. Coll. Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft e.V., Berlin.

Le sociologue Arnaud Alessandrin affirme que « le terme transidentités, paru en Allemagne au début du xxe siècle, renvoie à un ensemble de pratiques d’identification à un genre différent de celui assigné à la naissance. La définition des transidentités se situe à la croisée des discours médicaux, des prescriptions juridiques et des pratiques sociales ».
En 1897 est créé en Allemagne le Comité scientifique-humanitaire par le sexologue juif allemand Magnus Hirschfeld* (1868-1935) pour lutter contre le Paragraphe 175* (pénalisant en principe les homosexuels en Allemagne, mais aussi d’autres membres de la communauté LGBTQIA+ dans son application). Cachant sa propre homosexualité à ses confrères par crainte d’être décridibilisé, il étudie les questions de genre, de sexe, d’orientation. Il étudie notamment les questions LGBT*. Ses actions et ses recherches sur la communauté, en particulier sur les transidentités restent fondateurs. C’est en 1910 qu’il écrit pour la première fois sur ce dernier sujet.

Père de la sexologie moderne et du premier mouvement homosexuel (1897-1933), il crée l’Institut de sexologie (qui est en quelque sorte le premier centre de la communauté LGBTQIA+ de l’histoire), et organise les premières opérations de « réattribution sexuelle » complètes réussies dans les années 1920-1930.

Une lueur d’espoir sous la République de Weimar

Après la Grande Guerre, la République de Weimar (1918-1933) est un véritable espoir pour la communauté. Berlin compte à elle seule entre 80 et 120 lieux accueillant essentiellement une clientèle LGBTQ+ (boîtes de nuit comme L’Eldorado*, cafés, bars…).
Plusieurs magazines et journaux à destination de la communauté voient le jour. Un film de 1919, Différent des autres, réalisé par Richard Oswald et écrit par Magnus Hirschfeld, traite pour la première fois de l’homosexualité sans tabou. Et l’abolition du Paragraphe 175 prévoyant la prison pour les homosexuels est même demandée par des partis de gauche, sans succès. Pour la première fois, des lesbiennes, des homosexuels, des personnes bisexuelles, des personnes trans et d’autres personnes de la communauté peuvent être libres et autonomes. C’est une véritable révolution culturelle, sociale, scientifique et politique qui a lieu.

Photographie de l’Institut de sexologie de Berlin. Magnus Hirschfeld, « Geschlechtskunde », vol. 4, Stuttgart, 1930, p. 851.

Le premier centre LGBTQIA+ de l’histoire : l’Institut de sexologie

Véritable pionnier, Hirschfeld est aujourd’hui surnommé L’Einstein du sexe. Il crée en 1919 à Berlin l’Institut de Sexologie, dans le but d’institutionnaliser cette discipline scientifique. Hirschfeld le présente comme un « lieu de recherche, d’enseignement, de soin et de refuge » destiné à « libérer l’individu de ses maux physiques, de ses afflictions psychologiques et de ses privations sociales ». Il en fait donc une véritable source de connaissances. Mais il ne s’arrête pas là, le lieu avait comme il le disait d’autres fonctions : accueillir par exemple des personnes LGBT, proposer des spectacles, assurer un suivi médical etc. Et il proposait aussi des conseils concernant l’avortement, la
grossesse et les MST. D’une certaine manière, il s’agit du premier centre LGBT+ au monde. L’Institut comprenait 115 pièces. Certaines étaient ouvertes au public, pour des conférences par exemple. L’une d’entre elles a probablement abordé la question : « Pourquoi prend-on à la femme la maîtrise de son propre corps ? ». Un musée se trouvait à l’intérieur. D’autres pièces servaient de laboratoires ou de salles d’examen et d’opération.

Photos présentant des « sexes intermédiaires » à l’Institut. 1925. Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz, 10002255.

Les premières transitions de l’histoire

Membre du SPD, Hirschfeld est l’un des pères du premier mouvement homosexuel. En 1921 il crée la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle. Il se bat par exemple pour la reconnaissance des personnes trans, étudiant scientifiquement la question des transidentités. Il employait des personnes trans dans son Institut. Allant jusqu’à les accompagner dans leur parcours en prodiguant des conseils médicaux.
La République de Weimar voit l’apparition des premières opérations de transition totales et réussies. Dora Richter (1891-1933?), une femme trans, est la première personne à avoir subi une telle chirurgie, entre 1922 et 1931, grâce à l’Institut de Sexologie de Berlin. Elle y a travaillé. L’Institut était le seul ou l’un des seuls endroits au monde à proposer ces opérations, très risquées à l’époque (plusieurs femmes trans sont décédées avant 1931). Les personnes concernées étaient suivies par des spécialistes du Comité scientifique-humanitaire. L’Institut proposait des traitements hormonaux, mais également des chirurgies dites de « réassignation sexuelle ou affirmation de genre ».
Comprenant l’importance des soins d’affirmation de genre (qui ne concernent pas que les opérations) pour la santé mentale des personnes trans, Hirschfeld démontre qu’il y a un risque de suicide. Il crée un passeport « transsexuel » permettant par exemple à un couple de femmes trans ayant fait une transition à l’Institut (l’intellectuelle américano-allemande Charlotte Charlaque et la peintre allemande Toni Ebel) de ne pas être inquiétées par la police. Une avancée pour l’époque. Ces deux femmes vivaient à l’Institut. Toni Ebel a pu changer de nom en 1930. Charlotte Charlaque a affirmé que son opération a été la chose la plus formidable qui lui soit arrivée.

Photographie avec pour titre « Le Professeur Hirschfeld entre deux ‘patients’. À droite, ‘Dorchen’, antérieurement Rudolf Z. ». Dorchen est Dora Richter. Cet extrait provient d’un article paru le 1er juillet 1933 dans l’hebdomadaire français Voilà n°119. Musée Nicéphore Niépce.

Cependant, certains écrits d’Hirschfeld ont été remis en question par d’autres
scientifiques depuis. La destruction de son Institut, de ses laboratoires, de plusieurs de ses recherches, de son musée et la fin des consultations et des opérations, ainsi que sa mort à Nice en 1935 l’ont empêché d’améliorer ses recherches. L’historienne Florence Tamagne dit ceci : « Si on veut simplifier […], Hirschfeld définit l’homosexuel comme ayant ‘une âme de femme prisonnière dans un corps d’homme ». Cette théorie a été revue. Outre une vision spécifique de l’homosexualité, il a développé des propos sexistes, racistes et
eugénistes. Mais les historiennes et les historiens démontrent qu’Hirschfeld a posé les bases de la sexologie LGBTQIA+, en particulier pour les homosexuels et les personnes trans. Travail qui a été mis à mal par l’arrivée au pouvoir du nazisme.

Parmi les premières personnes trans ayant fait de la chirurgie de réattribution sexuelle, on trouve la peintre allemande Toni Ebel, sa compagne, l’intellectuelle juive américano-allemande Charlotte Charlaque, et Dora Richter. Image extraite du long-métrage/documentaire Mysterium des Geschlechts (Le Mystère du genre ou Le Mystère du Sexe) de Lothar Golte (1933).

Vocabulaire sociologique, historique et sexologique autour des questions LGBTQIA+

LGBTQIA+ : Lesbiennes, Gays, Bisexuelles et Bisexuels, personnes transgenres, personnes Queers, personnes Intersexes, personnes Agenre, personnes Asexuelles, personnes Aromantiques
Sexologie : discipline scientifique étudiant les comportements liés au sexe, au genre et à l’identité. Elle a été institutionnalisée à partir de 1919.

Paragraphe 175 (1871-1994) : Créé sous le IIe Reich, ce paragraphe avait pour but de pénaliser les homosexuels. Mais pénalisait les personnes trans dans son application. Aggravé en 1935, il est de nouveau modifié en 1969. Il disparaît en 1994.
Le Premier mouvement homosexuel (1897-1933), est un mouvement de lutte pour les droits LGBTQIA+ qui s’est essentiellement développée en Allemagne.
Chirurgie de « réattribution sexuelle » : suivant les personnes, elle pouvait consister en 2 ou 3 opérations par exemple. Très risquées, elles étaient les premières du genre et expérimentales.
Eldorado (1919?-1932) : boîte de nuit et cabaret prisé de la clientèle LGBT+, situé à Berlin, l’Eldorado est devenu un symbole.

Références

Eldorado: Le cabaret honni des nazis, documentaire de Benjamin Cantu (réal.), Film Base Berlin (2023)


« Transgender People, the Nazi State, and the Holocaust » (Personnes transgenres, l’État nazi et l’Holocauste), entretien vidéo avec Laurie Marhoefer, Musée de l’Héritage Juif de New-York (5 juin 2023).
https://m.youtube.com/watchv=T97cE5u5CmQ&pp=ygURbWFnbnVzIGhpcnNjaGZlbGQ%3D


Arnaud Alessandrin , « Transidentités : histoire d’une catégorie », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 03/05/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12504


« LGBTQIA+ L’histoire de l’Institut de sexologie détruit par les nazis », article de Pauline Petit, Radio France (12/06/2023)
https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-histoire-de-l-institut-de-sexologie-detruit-par-les-nazis-6649775

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