A l’approche de la sortie du film « Bécassine » de Bruno Podalydès le 20 juin prochain et à l’appel au boycott lancé par le collectif « Dispac’h », l’UDB jeunes souhaitait réagir à son tour. Bien que le personnage de Bécassine soit passé dans la culture populaire infantile sans que la plupart des gens n’y voit rien à y redire, son origine et ses attributs sont autant de symboles d’une époque d’exploitation, de mépris, voire de racisme, que beaucoup pensent révolue.

Les « Bécassines », c’était ces jeunes filles poussées à quitter la terre qui les avait vues naître pour ces villes qu’on leur promettait fantastiques. Là où la révolution industrielle était en train de créer notre société capitaliste moderne, il y avait du travail et la vie était plus facile disait-on… Pendant plus d’un siècle, de 1850 à 1960, c’est des milliers de Bretonnes, mais aussi de Bretons, d’Auvergnat·e·s, de Corses, d’Alsacien·ne·s ou tous autres « provinciaux » qui s’en vont fuir la misère vers les villes, plus particulièrement Paris. Vu·e·s comme étant incultes, sauvages, arriéré·e·s et parlant pour la plupart mal français, voire très souvent pas du tout, elles et ils deviennent les premiers « esclaves modernes ». Les hommes sont souvent employés dans les industries et les mines. Pour les femmes c’est bien sûr en tant que bonnes mais aussi dans les ateliers. Mais combien de moins chanceuses ont-elles terminées sur les trottoirs ?
Aujourd’hui, la plupart des personnes ne comprennent pas l’animosité que l’on puisse avoir envers ce personnage. A l’exception que l’on oublie de replacer Bécassine dans le contexte de son époque. Elle fut créée à la sortie du xixème siècle, peut-être le pire qui fut pour la condition féminine où les femmes n’étaient même pas reconnues comme des êtres humains digne de ce nom. Destinée à montrer que ces sociétés sauvages qui laissaient tout faire à leurs femmes, voir étaient dirigées par elles (ainsi naquit le mythe d’une société matriarcale en Bretagne) étaient bel et bien arriérées. Ainsi, être forte, libre et indépendante faisait plutôt écho à une sauvageonne ou à une prostituée, l’exemple parfait de ce que ne devait pas être les bonnes jeunes filles de la société parisiennes à qui ont offrait le journal « La semaine de Suzette » où était apparue Bécassine. Elle est réputée comme étant gentille malgré tout. Mais alliée à une certaine maladresse, cela se confond avec la bêtise quelques fois. Pour le Petit Robert, une Bécassine est une « jeune fille niaise », « une jeune fille sotte et naïve » pour le Larousse. Ainsi le nom viendrait très probablement de la «Bécasse », cet oiseau connu pour son apparente maladresse. Rien de bien sympathique.
Ajoutons à cela cette fameuse bouche qui brille par son absence. Ces filles ne parlant pas français ne parlaient donc rien pour une bourgeoisie parisienne qui voyait toute langue qu’elle ne comprenait pas comme des grognements de bêtes ou pour Flaubert «… d’inconsistants borborygmes ». Ne parlant pas français, il était alors compliqué pour ces filles de répondre aux ordres et de se défendre.
Si aujourd’hui les caractéristiques de Bécassine ont été aseptisées pour devenir un simple personnage bien sympathique et innocent pour les enfants, nous ne pouvons pas l’accepter pour autant. Car simplement accepter ce personnage c’est oublier la véritable histoire de ces femmes et hommes de Bretagne ou d’ailleurs aux destins fauchés et méprisés. En acceptant simplement ce personnage, c’est accepter les injustices passées en les gommant et en les reproduisant car devenus ignorants du passé.
Ainsi, Bécassine, ne représente pas seulement ces femmes Bretonnes des xix et xxème siècles, mais aussi ces Portugaises et Espagnoles fuyant la dictature qui prirent leur suite. Ce fut au tours des Italiennes, des pieds-noires et des Maghrébines d’être malléables à merci et mises à ras de terre.
Aujourd’hui, Bécassine, c’est cette Chinoise enfermée dans un atelier clandestin de Paris, cette actrice noire dont les seuls rôles qu’on lui confie sont généralement des caricatures de ses origines, ce migrant essayant de survivre sous un pont sans cesse chassé par les forces de l’ordre, etc. La liste pourrait être encore longue des « Bécassines » modernes et c’est tout cela qu’elle représente et pas seulement les atermoiements de « quelques Bretons folkloriques » car n’acceptant pas que l’on se moque des souffrances de leurs grands-mères. Bécassine est une souffrance encore bien actuelle.
Nous conseillons le visionnage du documentaire de Thierry Compain « Nous n’étions pas des Bécassines ».