Pendant des années, on nous a expliqué que les dictatures en place dans le monde dit « arabe » étaient le seul rempart efficace face à l’ intégrisme islamiste, que la jeunesse de ces pays ne se préoccupait que de ses conditions de vie matérielles (chômage, y compris pour les jeunes diplômés, difficulté à rester et vivre au pays…), que les dissidents démocratiques étaient des hommes et femmes du passé et que le réalisme économique justifiait la collaboration avec des régimes dictatoriaux, corrompus, et de moins en moins laïcs. Il y a peu encore, Nicolas Sarkozy recevait Kadhafi à l’Elysée. La démocratie semblait devenir une exception culturelle occidentale, et l’horizon politique des jeunes générations de Tunisie, d’Algérie ou d’Egypte se réduisait à la terreur étatique ou au terrorisme islamiste. Le Léviathan ou l’obscurantisme.
Ces jeunes hommes et femmes en ont décidé autrement. Se levant massivement pour exiger des perspectives d’avenir décentes et la fin d’un système mêlant capitalisme libéral et étatisme corrompu, ils se sont imposés comme citoyens au sens le plus fort du terme et ont inspiré des mouvements de protestation jusqu’en Europe Occidentale, renversant au passage leurs tyrans. La surprise fut énorme, à la mesure des espoirs soulevés. En Lybie, la langue interdite du peuple Amazigh résonnait à nouveau dans les écoles et les drapeaux bleus, jaunes et rouges refleurissaient dans la lutte. Tout une génération surveillée, asphyxiée, contrôlée croyait on, relevait la tête. Mais la mort ou le départ des dictateurs ne suffit pas à construire des démocraties et à assurer un avenir digne à la jeunesse. Deux problèmes majeurs se dressent entre ces jeunes et leur avenir: le marasme économique et l’incertitude politique.
Le chômage et l’émigration ne disparaîtront pas par miracle avec les révolutions. Bien que la relative mise à bas des oligarchies corrompues soit un point positif, il reste à entreprendre des réformes de structure dans des économies dépendantes et vulnérables face à la mondialisation, des pays dont les ressources principales sont pour l’instant la rente pétrolière
et le tourisme de masse. On ne connaît que trop la versatilité de ces mannes, et le peu de diversification économique qu’elles entraînent. Pour que chaque jeune tunisien ou libyen puisse trouver un travail qui le fasse vivre décemment dans son pays, il est nécessaire de recentrer l’économie vers des secteurs plus solides et plus durables, plus diversifiés aussi. À ce titre, les représentants de Régions et Peuples Solidaires (dont est membre le Congrès Mondial Amazigh, intéressé au premier chef par par les Révolutions dites arabes) avaient plaidé au Congrès de l’Émigration Tunisienne pour une transformation écologique et sociale du secteur touristique, enjeu de premier plan pour la Tunisie.
Quant aux perspectives politiques, elles restent très incertaines, car menacées par trois écueils: la récupération des révolutions par la mouvance islamiste, modérée semble-t-il en Tunisie mais prônant l’application de la Charia en Libye; la confiscation du pouvoir par des membres des anciens régimes instrumentallisant les tensions communautaires (risque en Egypte) ou refusant purement et simplement toute avancée démocratique, comme Bachar-al-Assad en Syrie; et enfin la négation de la diversité culturelle par de nouveaux nationalismes arabes, refusant le droit des peuples amazighs à l’autodétermination ou même à la simple pratique de leur langue comme à l’époque de Kadhafi.
La jeunesse révoltée de 2011, moteur des mouvements de contestations, peut donc voir dans les prochains mois la réalisation de ses espoirs comme de ses pires craintes. Elle a en tout cas d’ores et déjà fait la preuve que l’indignation, la volonté et l’espoir peuvent secouer la pesanteur de tout un monde de lâcheté et de cynisme, et que la conquête de l’autonomie, que ce soit face à l’Etat autoritaire et uniformisateur, aux forces réactionnaires ou aux intérêts économiques d’une minorité, est une véritable perspective d’avenir.
Malgré la distance et la différence de situation qui nous séparent d’elle, nous pouvons saluer cette jeunesse et nous en inspirer dans nos luttes: ce n’est pas parce que le chemin est difficile et incertain que la victoire est hors d’atteinte.
Nil Caouissin pour les Jeunes de l’UDB
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